PREMIÈRE FOIS

LE JOUR OÙ SENNA A PARTAGÉ SA VOITURE

Par Pascal Dro | Photos DPPI et LAT

C’est arrivé une seule fois au cours de sa carrière. Il y a trente ans, Ayrton Senna partageait le volant d’une Porsche 956 du team Joest Racing. Henri Pescarolo, Stefan Johansson et Reinhold Joest se souviennent. 

C’était le 15 juillet 1984 lors des 1 000 km du Nürburgring. Ayrton Senna, qui débutait en Formule 1 cette année-là chez Toleman, avait exprimé le souhait de courir sur d’autres circuits pour les apprendre avant d’y venir en F1. Reinhold Joest, Henri Pes-carolo et Stefan Johansson se rappellent de cette épreuve. Et si elle n’a pas marqué les esprits et l’histoire du sport automobile, nos trois impétrants se souviennent que ce jeune Brésilien était spécial… Très, très spécial, même.
Comment Senna s’est-il retrouvé, au tout début de sa carrière en Formule 1, pilote d’endurance ?
Reinhold Joest. À cette époque, Domingos Piedade, qui est por-tugais, était le team manager de notre écurie en championnat du monde d’endurance. Il se trouve qu’il était également le manager de Senna. Une fois, il m’a dit qu’Ayrton était intéressé par l’essai d’une Porsche 956. Dès lors, il semblait presque évident que si cela devait se produire, cela se passerait chez nous.
Henri Pescarolo. Je ne sais pas comment ça c’est passé mais je me souviens bien de son arrivée dans l’équipe, au Nürburgring. Je ne crois même pas qu’on lui a moulé un siège, puisque celui de la 956 était coulissant. Je me rappelle qu’il était discret, très observateur et totalement silencieux.
Stefan Johansson. Moi, je le connaissais bien puisqu’il était alors mon équipier chez Toleman. Quand Johnny Cecotto est tombé malade, j’ai été amené à le remplacer. C’était au Grand Prix du Portugal.
Et cette course, vous vous en souvenez bien ?
R.J.
Ayrton était apparu simplement avant le week-end de l’épreuve.
H.P. Je ne me rappelle même pas si j’ai parlé avec lui. Je me souviens très peu de cette course, en fait…
S.J. C’était une épreuve avec une météo qui évoluait tout le temps. Elle n’a laissé à personne la moindre chance de briller : il suffisait de changer de pneus pour que la météo bouge à ce moment-là. C’était l’un de ces week-ends gris où il n’y a rien d’autre à faire qu’attendre.
Comment était Senna ?
R.J.
Il était normal, avec rien de très spécial et, surtout, pas une attitude de star.
H.P. Je me souviens qu’il était très effacé. Qu’il restait dans le fond du stand à tout observer. Mais qu’il ne la ramenait pas. Il faut savoir que chez Joest, ce n’était pas l’ambiance la plus amusante du plateau. Ce n’est pas là que l’on faisait rire les pilotes !
S.J. Pour moi, il n’était pas une découverte. Quand je suis arrivé chez Toleman, au Portugal, j’ai été plus rapide que lui. C’est le genre de chose qu’il n’avait pas appréciée. Immédiatement, il a trouvé un truc qui n’allait pas sur sa monoplace. Les pilotes de ce calibre sont ainsi : tout doit aller dans leur sens, tout doit être fait pour eux, sans partage ni compromis. Il était évident qu’il avait du talent et qu’il allait devenir l’un des meilleurs au monde. Mais il avait également les travers de ces pilotes-là…

BMW M1, Porsche 924 Carrrera GT et des 956 comme s’il en pleuvait… Il y avait « du lourd » sur les pistes du championnat du monde Groupe C et C2, au milieu des années 1980. Un âge d’or qui tend à renaître ces temps-ci.
Avait-il été instantanément rapide au volant de la 956 ?
R. J. Nous lui avions fait avant un briefing très détaillé sur la 956, ses systèmes, ses instruments de bord et ajusté son siège. Nous lui avions expliqué le fonctionnement du moteur et, surtout, de la boîte de vitesses, très spéciale. Ensuite, il s’est retrouvé dans le rythme immédiatement. Mais je ne crois pas qu’il ait été le plus rapide. À vérifier.
H. P. Dès que le temps s’est gâté, il a montré ce qu’il savait faire, quel type de pilote il était.
S. J. Ce n’était pas une météo pour démontrer son savoir-faire, mais sous la pluie, son car control exceptionnel lui a permis de briller. C’était un pilote extraordinaire. En devenir…
R. J. Exact : sous la pluie, il s’est montré brillant dans cette voiture fermée qu’il ne connaissait pas.
Et puis, le moteur a cassé…
R. J. Oui, de mémoire, c’est une culasse qui a cédé.
H. P. Je me souviens juste que nous avions connu des soucis mécaniques et que nous avions dû abandonner.
S. J. Oui, c’était un week-end de m…, comme je le disais.
Et ensuite ?
R. J. En dépit des problèmes mécaniques, alors que les pilotes ne s’attardent que rarement dans le paddock, Ayrton a insisté pour que l’on fasse un débriefing complet. Pour nous indiquer tout ce qu’il avait appris, nous aider à progresser. Il nous a apporté une liste de ses impressions, sur la voiture et sur l’équipe. Très, très professionnel ! Par la suite, nous nous sommes vus de temps en temps et il prenait toujours
un moment pour venir bavarder. Très simple, très abordable.
H. P. Je ne l’ai pas revu.
S. J. Je l’ai dit, c’était un type très concentré, très « intense » dans ce qu’il faisait. Mais je me souviens aussi de sa réaction quand il s’est fait « taper » par l’intérimaire que j’étais, chez Toleman. Non, parmi les équipiers de ma carrière, Ayrton n’est pas mon meilleur souvenir.

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