Philippe « Phiphi » Étancelin était avant tout un pilote de grand prix, c’est-à-dire un sprinter. Les épreuves d’endurance ne l’intéressaient pas. Mais, sous contrat avec le pétrolier Standard Oil (Esso), il allait malgré tout devoir disputer les 24 Heures du Mans 1934. Et, pour cette première participation, remporter l’épreuve avec Luigi Chinetti.
Né à Rouen en 1896, notre bonhomme se rêve très vite en héros du siècle qui s’annonce. Sera-t-il boxeur ou coureur cycliste ? En attendant, dès qu’il est en âge de le faire, il parcourt les fermes de sa Normandie natale et achète aux éleveurs les plumes d’oie et de canard qu’il revend ensuite – avec fort bénéfice – aux fabricants d’oreillers et de matelas. Rapidement, il se constitue ainsi une petite fortune. Si bien qu’en 1926, quand il entre dans le magasin d’exposition des Automobiles Bugatti de l’avenue Montaigne, à Paris, il ne sait pas encore que son sort est scellé. Il en ressort avec un bon de commande pour une Bugatti 35 Grand-Prix.
Dès lors, il écume les courses de côte en Normandie et en Picardie (Rouen, Le Havre, Dieppe, Poix…). L’année suivante, il décide d’aller voir un gros client à Reims : il part de Rouen, par la route, au volant de sa Bugatti de course, avec sa femme Suzanne assise sur le strapontin du passager et les échantillons de plumes sous le siège.
Le hasard fait que ce voyage coïncide avec le week-end où se déroule le Grand Prix de la Marne sur le circuit de Reims-Gueux.
En deux ans, Reims est devenu l’un des plus prestigieux grand prix de France. Lorsqu’il va en trouver l’organisateur, le célèbre Raymond « Toto » Roche, ce dernier l’éconduit avec ces mots : « Ici, il n’y a que des pilotes reconnus, pas des tocards ! ». Étancelin rentre penaud à son hôtel. Mais, le lendemain, les essais du grand prix occasionnent quelques casses mécaniques et forfaits de concurrents. Roche se dit qu’après tout, ce type a une Bugatti 35 qui ferait bien sur le plateau. Il va donc voir Étancelin à son hôtel et lui dit qu’il l’accepte au départ mais à condition qu’il parte en dernière ligne avec interdiction de doubler des concurrents.
Le dimanche matin, Phiphi fait le plein de la Bugatti à la station-service à la sortie de Reims, (ignorant qu’il y a un ravitaillement sur le circuit) tandis que sa femme s’installe en bord de piste, assise sur un jerrycan (ignorant qu’il y a un stand à disposition). Et, quand le départ est donné, Étancelin double un à un tous les pilotes et remporte, à la barbe de tous, le Grand Prix de la Marne 1927, son premier grand prix !
Sa ligne de vie est alors tracée. (Découvrez la suite du reportage dans le Grand Prix #24).