ÉVOCATION

SENNA PAR LIONEL FROISSART

Propos recueillis par Pascal Dro | Photos Lionel Froissart

Journaliste fou de Formule 1 et de boxe, Lionel Froissart a rencontré Ayrton Senna da Silva un matin de septembre 1978, sur la piste de karting du Mans, lors de son premier passage en France.Vingt-six ans durant, ils sont restés proches. Ce n’est pas la carrière du Brésilien, mais une tentative de compréhension de l’homme complexe qu’il nous livre aujourd’hui.

Je n’ai jamais été ni « pro » Senna, ni « pro » Prost. À cette époque, bien trop occupé par mes autos, mes courses et mes budgets, je n’avais ni la tête, ni le goût pour vénérer qui que ce soit. Jeunesse… Bien sûr, Senna était incroyablement brillant au volant. Mais je n’arrivais pas à en faire un dieu vivant. Au risque de choquer, je trouvais son pilotage exagérément brutal et son charisme très étudié, presque artificiel et bien moins efficace dans le paddock que celui de Prost ou de Piquet, par exemple. Bref, ses tours de qualification étaient extraordinaires, mais son côté écorché, à fleur de peau, me fatiguait un peu. Ceci dit, je n’ai jamais remis en question sa pointe de vitesse unique.
Bien plus tard, Lionel Froissart et moi avons sillonné le globe pendant une douzaine d’années, suivant les Grands Prix et séances d’essais, prenant parfois les mêmes avions, sans… pratiquement jamais nous adresser la parole. Les seules fois où nous nous croisions, c’était sur les bords des pistes, pendant les essais. Longtemps, nous étions les seuls journalistes de la presse écrite à aller voir les autos passer « pour de vrai » dans les virages et sur les freinages. Et je ne suis pas certain qu’il y en ait beaucoup plus aujourd’hui…
Qu’importe, c’est là où nous nous voyions, que nous nous faisions un petit signe, que nous partagions le goût de la photo au Leica, des montres anciennes et du talent des grands pilotes en live. Ensuite ? Plus rien. Jusqu’à ces récentes aventures d’Autosport en France et de Grand Prix où nous nous sommes retrouvés. La pudeur de Lionel n’a d’égale que la taille de sa passion et sa discrétion. L’homme n’est pas bavard. Tant mieux. Il nous raconte ici Senna, ce géant qui n’était pas bavard non plus, et ses photos, souvent inédites. Une véritable émotion, sur un sujet tant et tant rebattu. (Pascal Dro)
Lionel, on a l’impression que tout le monde sait que tu étais proche de Senna. Mais comment l’as-tu
rencontré ?

C’était aux championnats du monde de kart, au Mans, en 1978. Il s’appelait alors Ayrton da Silva. J’étais « grouillot-laborantin-coursier » chez Auto Hebdo, né deux ans plus tôt.
Pourquoi avoir décidé d’aller voir cette course ?
J’essayais d’installer une rubrique karting dans le magazine même si le rédacteur en chef de l’époque, Étienne Moity, se foutait un peu de moi avec mes « fers à repasser ». J’avais motivé Bernard Asset, tout jeune photographe, et Philippe Anzemberger, l’auteur de la photo de couverture de Grand Prix #11 et fou de karting. Les grandes courses de kart, ce sont toujours des batailles étonnantes, des pilotes qui grandissent et d’autres qui sombrent, le tout en quelques manches et sur un week-end. Et, souvent, on retrouve les meilleurs – vainqueurs ou non – aux échelons supérieurs, jusqu’en Formule 1.
Qu’en était-il de Senna ?
Il était là, avec deux autres pilotes. À trois, ils formaient l’équipe du Brésil. Il portait son cuir noir et son casque jaune. Instantanément, il se démarquait par son style explosif et agressif, son attaque étonnante. Sans que personne ne l’attende là, il brillait. D’une certaine manière, on ne voyait que lui. Je suis donc allé voir cela de plus près ! Tu sais que je ne suis pas d’une nature très liante. Je ne vais pas vraiment spontanément vers les gens, je suis trop timide pour cela. Mais nous avons parlé, communiqué, avec nos anglais qui étaient alors balbutiants.
Et il n’a jamais gagné ce championnat du monde…
Exact. Il s’y est pourtant pris à quatre reprises, revenant jusqu’en 1982, à l’occasion du championnat du monde organisé à Kalmar, en Suède. Mais jamais il ne s’est imposé, se contentant de deux titres de dauphin. Il était vert ! En 1978, IAME, la plus puissante usine de kart de l’époque, dirigée par le rusé Bruno Grana, voulait se renforcer sur le marché nord-américain et c’est un Américain qui a gagné au Mans… Lake Speed (une victoire en 402 départs en Nascar, NDLR) l’a emporté cette année-là, avec les meilleurs moteurs. Ayrton s’est classé sixième.
(
Découvrez la suite du reportage dans le Grand Prix #14).

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